Rumeurs
& rumorologie par Pascal Froissart, Université de Paris VIII |
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La rumeur. Histoire et fantasmes Ouvrage important pour quiconque sintéressant à ce quon pourrait qualifier de "rumorologie", La rumeur croise lapport de lectures multiples par un jeune enseignant-chercheur, autant intéressé par le phénomène observé à partir des sites Internet quen remontant à la nuit des temps, ou presque. Ouvrage ventilé en deux parties -- "histoire de la rumeur, pseudo-sciences de la rumeur" -- il apporte autant sur le plan documentaire, sur lesquisse de lhistoriographie de la rumeur, que par le ton incisif, décapant qui déconstruit ceux qui auraient voulu, daprès les travaux de Louis William Stern (1902), penser la rumeur "opérationanisable" (p.102 et ailleurs). Froissart traque son objet à travers un kaléidoscope de représentations. Si le protocole expérimental de Stern en prend pour son grade, ceux qui ont cru à sa pertinence scientifique sont, eux, fustigés. Que fit alors Stern, dans un texte -- où Froissart le signale -- le mot "rumeur" napparaît pas ? Un compte rendu dexpérience lui servit dune réflexion sur la psychologie du témoignage et la fidélité de la mémoire (p. 63). 400 articles sont parus ensuite sur la rumeur, nous dit Froissart ; seuls huit se réfèrent à Stern; mais sa "découverte" eut un retentissement tout au long du XXe siècle. Froissart piste le genèse et le développement de trois tendances dans "la rumorologie", qui émergent entre 1902 et 1944. Un concept se fait ainsi jour mais "le vérité est quil n y a nul savoir sur la rumeur". « Les rumeurs ont toujours existé, mais la rumeur, elle, nexiste pas » (p.244). Les phénomènes sociaux quasi-surnaturels, la croyance et lopinion, expliqueraient leur force ; la science elle, si ce nest que par les techniques de lhistorien et de lethnologue, ne peut quobserver et permettre de scruter ce qui ne doit aucunement faire lobjet dune "science" rumologique stricto sensu. Ayant ainsi dévoilé lune des conclusions de la passionnante enquête et réflexion à laquelle nous invite P. Froissart, rappelons le passage chez Marc Bloch, observant la propagation de "fausses nouvelles" dans les tranchées de 1914-18. Ce sont les intentions de ceux qui propagent ou vulgarisent les rumeurs qui, surtout, pose problème ; car, comme le montrait George Lefebvre à propos de "la grande peur" de 1789, il peut avoir un faisceau de facteurs qui expliquent lampleur prise par une rumeur ; il nest nullement certain que lon puisse appréhender ce qui perdure, par exemple -- ce en quoi le succès, disons dédition, dun ouvrage comme celui de T. Meyssan, à propos des "fausses apparences" des avions heurtant les Twin Towers de New York (avec lesquels débute louvrage de Froissart), est à mettre en parallèle avec, mettons, "la bête du Gévaudan" au XVIIIe siècle. À milieu social comparable, se méfiait-on plus de la portée de la rumeur, parmi les milieux des "notables" et parmi les Autorités du Massif central au XVIIIe siècle que parmi les milieux, certes plus nombreux, des personnes instruites du XXIe siècle ? Les chattering classes daujourdhui ont aussi leur crédules. Ou alors, ceux-ci étant autrement plus nombreux, certes, ont-ils davantage le temps, et lenvie, daimer à se faire peur ? La scénarisation "après-coup" de la portée de telle rumeur, jadis, nest pas toujours faite pour permettre dy voir clair. Que faire des rumeurs, un temps apparemment fortement ancrée, et peu après apparemment oublié ? Les travaux dArlette Farge, de Carlo Ginsberg, et dethnologues et sociologues des fantasmes urbains daujourdhui, permettraient peut-être dy voir plus clair. Michael Palmer |